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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

La Durande, crevée par un des bas-fonds de l’écueil, n’était séparée des deux Douvres que de quelques encablures.

À deux cents brasses plus loin, on apercevait un massif cube de granit. On distinguait sur les pans escarpés de cette roche quelques stries et quelques reliefs pour l’escalade. Les coins rectilignes de ces rudes murailles à angle droit faisaient pressentir au sommet un plateau.

C’était l’Homme.

La roche l’Homme s’élevait plus haut encore que les roches Douvres. Sa plate-forme dominait leur double pointe inaccessible. Cette plate-forme, croulant par les bords, avait un entablement, et on ne sait quelle régularité sculpturale. On ne pouvait rien rêver de plus désolé et de plus funeste. Les lames du large venaient plisser leurs nappes tranquilles aux faces carrées de cet énorme tronçon noir, sorte de piédestal pour les spectres immenses de la mer et de la nuit.

Tout cet ensemble était stagnant. À peine un souffle dans l’air, à peine une ride sur la vague. On devinait sous cette surface muette de l’eau la vaste vie noyée des profondeurs.

Clubin avait souvent vu l’écueil Douvres de loin.

Il se convainquit que c’était bien là qu’il était.

Il ne pouvait douter.

Changement brusque et hideux. Les Douvres au lieu des Hanois. Au lieu d’un mille, cinq lieues de mer. Cinq lieues de mer ! L’impossible. La roche Douvres, pour le naufragé solitaire, c’est la présence, visible et palpable, du dernier moment. Défense d’atteindre la terre.