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LE REVOLVER

Quatre pas seulement le séparaient du garde-côte ; il mit un pied en avant, puis s’arrêta ; il fit un second pas, et s’arrêta encore ; il ne faisait point d’autre mouvement que de marcher, tout le reste de son corps était statue ; son pied s’appuyait sur l’herbe sans bruit ; il fit le troisième pas, et s’arrêta ; il touchait presque le garde-côte, toujours immobile avec sa longue-vue. L’homme ramena lentement ses deux mains fermées à la hauteur de ses clavicules, puis, brusquement, ses avant-bras s’abattirent, et ses deux poings, comme lâchés par une détente, frappèrent les deux épaules du garde-côte. Le choc fut sinistre. Le garde-côte n’eut pas le temps de jeter un cri. Il tomba la tête la première du haut de la falaise dans la mer. On vit ses deux semelles le temps d’un éclair. Ce fut une pierre dans l’eau. Tout se referma.

Deux ou trois grands cercles se firent dans l’eau sombre.

Il ne resta que la longue-vue échappée des mains du garde-côte et tombée à terre sur l’herbe.

Le quaker se pencha sur le bord de l’escarpement, regarda les cercles s’effacer dans le flot, attendit quelques minutes, puis se redressa en chantant entre ses dents :


Monsieur d’la Police est mort
En perdant la vie.


Il se pencha une seconde fois. Rien ne reparut. Seulement, à l’endroit où le garde-côte s’était englouti, il s’était formé à la surface de l’eau une sorte d’épaisseur brune qui s’élargissait sur le balancement de la lame. Il était probable que le garde-côte s’était brisé le crâne sur quelque roche