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LE REVOLVER

le regard imperturbablement attaché sur l’horizon. La marée était pleine. Le flot battait au-dessous de lui le bas de la falaise.

Ce que cet homme observait, c’était un navire au large qui faisait en effet un jeu singulier.

Ce navire, qui venait de quitter depuis une heure à peine le port de Saint-Malo, s’était arrêté derrière les Banquetiers. C’était un trois-mâts. Il n’avait pas jeté l’ancre, peut-être parce que le fond ne lui eût permis d’abattre que sur le bord du câble, et parce que le navire eût serré son ancre sous le taille-mer ; il s’était borné à mettre en panne.

L’homme, qui était un garde-côte, comme le faisait voir sa cape d’uniforme, épiait toutes les manœuvres du trois-mâts et semblait en prendre note mentalement. Le navire avait mis en panne vent dessus vent dedans ; ce qu’indiquaient le petit hunier coiffé et le vent laissé dans le grand hunier ; il avait bordé l’artimon et orienté le perroquet de fougue au plus près, de façon à contrarier les voiles les unes par les autres, et à avoir peu d’arrivée et moins de dérive. Il ne se souciait point de se présenter beaucoup au vent, car il n’avait brassé le petit hunier que perpendiculairement à la quille. De cette façon, tombant en travers, il ne dérivait au plus que d’une demi-lieue à l’heure.

Il faisait encore grand jour, surtout en pleine mer et sur le haut de la falaise. Le bas des côtes devenait obscur.

Le garde-côte, tout à sa besogne et espionnant consciencieusement le large, n’avait pas songé à scruter le rocher à côté et au-dessous de lui. Il tournait le dos à l’espèce d’escalier peu praticable qui mettait en communication le pla-