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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

épreuve d’un visage et la gardait ; le visage avait beau vieillir, sieur Clubin le retrouvait. Impossible de dépister ce souvenir tenace. Sieur Clubin était bref, sobre, froid ; jamais un geste. Son air de candeur gagnait tout d’abord. Beaucoup de gens le croyaient naïf ; il avait au coin de l’œil un pli d’une bêtise étonnante. Pas de meilleur marin que lui, nous l’avons dit ; personne comme lui pour amurer une voile, pour baisser le point du vent, et pour maintenir avec l’écoute la voile orientée. Aucune réputation de religion et d’intégrité ne dépassait la sienne. Qui l’eût soupçonné eût été suspect. Il était lié d’amitié avec M. Rébuchet, changeur à Saint-Malo, rue Saint-Vincent, à côté de l’armurier, et M. Rébuchet disait : Je donnerais ma boutique à garder à Clubin. Sieur Clubin était veuvier. Sa femme avait été l’honnête femme comme il était l’honnête homme. Elle était morte avec la renommée d’une vertu à tout rompre. Si le bailli lui eût conté fleurette, elle l’eût été dire au roi ; et si le bon Dieu eût été amoureux d’elle, elle l’eût été dire au curé. Ce couple, sieur et dame Clubin, avait réalisé dans Torteval l’idéal de l’épithète anglaise, respectable. Dame Clubin était le cygne ; sieur Clubin était l’hermine. Il fût mort d’une tache. Il n’eût pu trouver une épingle sans en chercher le propriétaire. Il eût tambouriné un paquet d’allumettes. Il était entré un jour dans un cabaret à Saint-Servan, et avait dit au cabaretier : J’ai déjeuné ici il y a trois ans, vous vous êtes trompé dans l’addition ; et il avait remboursé au cabaretier soixante-cinq centimes. C’était une grande probité, avec un pincement de lèvres attentif.