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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

thierry. Il le considérait avec une contemplation de croyant. Il était de bonne foi devant cette figure. Il y reconnaissait parfaitement Déruchette. C’est un peu comme cela que le dogme ressemble à la vérité, et l’idole à Dieu.

Mess Lethierry avait deux grandes joies par semaine ; une joie le mardi et une joie le vendredi. Première joie, voir partir la Durande ; deuxième joie, la voir revenir. Il s’accoudait à sa fenêtre, regardait son œuvre, et était heureux. Il y a quelque chose de cela dans la Genèse. Et vidit quod esset bonum.

Le vendredi, la présence de mess Lethierry à sa fenêtre valait un signal. Quand on voyait, à la croisée des Bravées, s’allumer sa pipe, on disait : Ah ! Le bateau à vapeur est à l’horizon. Une fumée annonçait l’autre.

La Durande en rentrant au port nouait son câble sous les fenêtres de mess Lethierry à un gros anneau de fer scellé dans le soubassement des Bravées. Ces nuits-là, Lethierry faisait un admirable somme dans son branle, sentant d’un côté Déruchette endormie et de l’autre Durande amarrée.

Le lieu d’amarrage de la Durande était voisin de la cloche du port. Il y avait là, devant la porte des Bravées, un petit bout de quai.

Ce quai, les Bravées, la maison, le jardin, les ruettes bordées de haies, la plupart même des habitations environnantes, n’existent plus aujourd’hui. L’exploitation du granit de Guernesey a fait vendre ces terrains. Tout cet emplacement est occupé, à l’heure où nous sommes, par des chantiers de casseurs de pierres.