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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Saint-Pierre-Port et Saint-Sampson. Il avait été à Brême acheter le bois. Il avait épuisé dans cette construction tout son savoir-faire de charpentier de marine, et l’on reconnaissait son talent au bordage dont les coutures étaient étroites et égales, et recouvertes de sarangousti, mastic de l’Inde meilleur que le brai. Le doublage était bien mailleté. Lethierry avait enduit la carène de gallegalle. Il avait, pour remédier à la rondeur de la coque, ajusté un boute-hors au beaupré, ce qui lui permettait d’ajouter à la civadière une fausse civadière. Le jour du lancement, il avait dit : me voilà à flot ! La galiote réussit en effet, on l’a vu.

Par hasard ou exprès, elle avait été lancée un 14 juillet. Ce jour-là, Lethierry, debout sur le pont entre les deux tambours, regarda fixement la mer et lui cria : — C’est ton tour ! Les parisiens ont pris la Bastille ; maintenant nous te prenons, toi !

La galiote à Lethierry faisait une fois par semaine le voyage de Guernesey à Saint-Malo. Elle partait le mardi matin et revenait le vendredi soir, veille du marché qui est le samedi. Elle était d’un plus fort échantillon de bois que les plus grands sloops caboteurs de tout l’archipel, et, sa capacité étant en raison de sa dimension, un seul de ses voyages valait, pour l’apport et pour le rendement, quatre voyages d’un coutre ordinaire. De là de forts bénéfices. La réputation d’un navire dépend de son arrimage, et Lethierry était un admirable arrimeur. Quand il ne put plus travailler en mer lui-même, il dressa un matelot pour le remplacer comme arrimeur. Au bout de deux années, le bateau à vapeur rap-