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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Déruchette et Ebenezer semblaient se consulter du regard. Ils étaient debout l’un près de l’autre, sans bouger ; ils étaient comme ivres. Il y a de ces hésitations étranges au bord de cet abîme, le bonheur. Ils comprenaient sans comprendre.

— Il s’appelle Gilliatt, dit Déruchette bas à Ebenezer.

Gilliatt reprit avec une sorte d’autorité :

— Qu’attendez-vous ? Je vous dis de me suivre.

— Où ? demanda Ebenezer.

— Là.

Et Gilliatt montra du doigt le clocher de l’église.

Ils le suivirent.

Gilliatt allait devant. Son pas était ferme. Eux ils chancelaient.

À mesure qu’ils avançaient vers le clocher, on voyait poindre sur ces purs et beaux visages d’Ebenezer et de Déruchette quelque chose qui serait bientôt le sourire. L’approche de l’église les éclairait. Dans l’œil creux de Gilliatt, il y avait de la nuit.

On eût dit un spectre menant deux âmes au paradis.

Ebenezer et Déruchette ne se rendaient pas bien compte de ce qui allait arriver. L’intervention de cet homme était la branche où se raccroche le noyé. Ils suivaient Gilliatt avec la docilité du désespoir pour le premier venu. Qui se sent mourir n’est pas difficile sur l’acceptation des incidents. Déruchette, plus ignorante, était plus confiante. Ebenezer songeait. Déruchette était majeure. Les formalités du mariage anglais sont très simples, surtout dans les pays autochthones où les recteurs de paroisse ont un pouvoir presque discrétionnaire ; mais le doyen néanmoins consen-