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NUIT ET LUNE

pour s’éloigner, s’arrêta encore, puis revint s’asseoir sur le banc de bois. La lune était dans les arbres, quelques nuées erraient parmi les étoiles pâles, la mer parlait aux choses de l’ombre à demi-voix, la ville dormait, une brume montait de l’horizon, cette mélancolie était profonde. Déruchette inclinait le front, avec cet œil pensif qui regarde attentivement rien ; elle était assise de profil, elle était presque nu-tête, ayant un bonnet dénoué qui laissait voir sur sa nuque délicate la naissance des cheveux, elle roulait machinalement un ruban de ce bonnet autour d’un de ses doigts, la pénombre modelait ses mains de statue, sa robe était d’une de ces nuances que la nuit fait blanches, les arbres remuaient comme s’ils étaient pénétrables à l’enchantement qui se dégageait d’elle, on voyait le bout d’un de ses pieds ; il y avait dans ses cils baissés cette vague contraction qui annonce une larme rentrée ou une pensée refoulée, ses bras avaient l’indécision ravissante de ne point trouver où s’accouder, quelque chose qui flotte un peu se mêlait à toute sa posture, c’était plutôt une lueur qu’une lumière et une grâce qu’une déesse, les plis du bas de sa jupe étaient exquis, son adorable visage méditait virginalement. Elle était si près que c’était terrible. Gilliatt l’entendait respirer.

Il y avait dans des profondeurs un rossignol qui chantait. Les passages du vent dans les branches mettaient en mouvement l’ineffable silence nocturne. Déruchette, jolie et sacrée, apparaissait dans ce crépuscule comme la résultante de ces rayons et de ces parfums ; ce charme immense et épars aboutissait mystérieusement à elle, et s’y condensait,