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NUIT ET LUNE

à travailler. Faire une conjecture, c’est pour la pensée une occupation saine. Le raisonnement est éveillé, la logique est appelée.

Depuis quelque temps l’opinion publique de Guernesey était occupée à rejuger Clubin, cet honnête homme pendant tant d’années si unanimement admis dans la circulation de l’estime. On s’interrogeait, on se prenait à douter, il y avait des paris pour et contre. Des lumières singulières s’étaient produites. Clubin commençait à s’éclairer, c’est-à-dire qu’il devenait noir.

Une information judiciaire avait eu lieu à Saint-Malo pour savoir ce qu’était devenu le garde-côte 619. La perspicacité légale avait fait fausse route, ce qui lui arrive souvent. Elle était partie de cette supposition que le garde-côte avait dû être embauché par Zuela et embarqué sur le Tamaulipas pour le Chili. Cette hypothèse ingénieuse avait entraîné force aberrations. La myopie de la justice n’avait pas même aperçu Rantaine. Mais, chemin faisant, les magistrats instructeurs avaient levé d’autres pistes. L’obscure affaire s’était compliquée. Clubin avait fait son entrée dans l’énigme. Il s’était établi une coïncidence, un rapport peut-être, entre le départ du Tamaulipas et la perte de la Durande. Au cabaret de la porte Dinan où Clubin croyait n’être pas connu, on l’avait reconnu ; le cabaretier avait parlé ; Clubin avait acheté une bouteille d’eau-de-vie. Pour qui ? L’armurier de la rue saint-Vincent avait parlé ; Clubin avait acheté un revolver. Contre qui ? L’aubergiste de l’auberge Jean avait parlé ; Clubin avait eu des absences inexplicables. Le capitaine Gertrais-Gaboureau avait parlé ;