Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
LA LUTTE

paisibles. Çà et là des filets d’argent tombaient gracieusement de ces trous dans la mer.

La claire-voie de renfort du barrage de l’est s’achevait. Encore quelques nœuds de corde et de chaîne et le moment approchait où cette clôture pourrait à son tour lutter.

Subitement, une grande clarté se fit, la pluie discontinua, les nuées se désagrégèrent, le vent venait de sauter, une sorte de haute fenêtre crépusculaire s’ouvrit au zénith, et les éclairs s’éteignirent ; on put croire à la fin. C’était le commencement.

La saute de vent était du sud-ouest au nord-est.

La tempête allait reprendre, avec une nouvelle troupe d’ouragans. Le nord allait donner, assaut violent. Les marins nomment cette reprise redoutée la rafale de la renverse. Le vent du sud a plus d’eau, le vent du nord a plus de foudre.

L’agression maintenant, venant de l’est, allait s’adresser au point faible.

Cette fois Gilliatt se dérangea de son travail. Il regarda.

Il se plaça debout sur une saillie de rocher en surplomb derrière la deuxième claire-voie presque terminée. Si la première claie du brise-lames était emportée, elle défoncerait la seconde, pas consolidée encore, et, sous cette démolition, elle écraserait Gilliatt. Gilliatt, à la place qu’il venait de choisir, serait broyé avant de voir la panse et la machine et toute son œuvre s’abîmer dans cet engouffrement. Telle était l’éventualité. Gilliatt l’acceptait, et, terrible, la voulait.

Dans ce naufrage de toutes ses espérances, mourir d’abord, c’est ce qu’il lui fallait ; mourir le premier ; car la