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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

électriques revenaient sans cesse aux mêmes pointes de rocher, probablement veinées de diorite. Il y avait des grêlons gros comme le poing. Gilliatt était forcé de secouer les plis de sa vareuse. Jusqu’à ses poches étaient pleines de grêle.

La tourmente était maintenant ouest, et battait le barrage des deux Douvres ; mais Gilliatt avait confiance en ce barrage, et avec raison. Ce barrage, fait du grand morceau de l’avant de la Durande, recevait sans dureté le choc du flot ; l’élasticité est une résistance ; les calculs de Stevenson établissent que, contre la vague, élastique elle-même, un assemblage de bois, d’une dimension voulue, rejointoyé et enchaîné d’une certaine façon, fait meilleur obstacle qu’un breack-water de maçonnerie. Le barrage des Douvres remplissait ces conditions ; il était d’ailleurs si ingénieusement amarré que la lame, en frappant dessus, était comme le marteau qui enfonce le clou, et l’appuyait au rocher et le consolidait ; pour le démolir, il eût fallu renverser les Douvres. La rafale, en effet, ne réussissait qu’à envoyer à la panse, par-dessus l’obstacle, quelques jets de bave. De ce côté, grâce au barrage, la tempête avortait en crachement. Gilliatt tournait le dos à cet effort-là. Il sentait tranquillement derrière lui cette rage inutile.

Les flocons d’écume, volant de toutes parts, ressemblaient à de la laine. L’eau vaste et irritée noyait les rochers, montait dessus, entrait dedans, pénétrait dans le réseau des fissures intérieures, et ressortait des masses granitiques par des fentes étroites, espèces de bouches intarissables qui faisaient dans ce déluge de petites fontaines