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II

LES VENTS DU LARGE


D’où viennent-ils ? De l’incommensurable. Il faut à leurs envergures le diamètre du gouffre. Leurs ailes démesurées ont besoin du recul indéfini des solitudes. L’Atlantique, le Pacifique, ces vastes ouvertures bleues, voilà ce qui leur convient. Ils les font sombres. Ils y volent en troupes. Le commandant Page a vu une fois sur la haute mer sept trombes à la fois. Ils sont là, farouches. Ils préméditent les désastres. Ils ont pour labeur l’enflure éphémère et éternelle du flot. Ce qu’ils peuvent est ignoré, ce qu’ils veulent est inconnu. Ils sont les sphinx de l’abîme, et Gama est leur Œdipe. Dans cette obscurité de l’étendue qui remue toujours, ils apparaissent, faces de nuées. Qui aperçoit leurs linéaments livides dans cette dispersion qui est l’horizon de la mer, se sent en présence de la force irréductible. On dirait que l’intelligence humaine les inquiète, et ils se hérissent contre elle. L’intelligence est invincible, mais l’élément est imprenable. Que faire contre l’ubiquité insai-