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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

de courants, on ne sait quel complot de l’indifférence des choses contre la témérité d’un être, l’hiver, les nuées, la mer assiégeante, enveloppaient Gilliatt, le cernaient lentement, se fermaient en quelque sorte sur lui, et le séparaient des vivants comme un cachot qui monterait autour d’un homme. Tout contre lui, rien pour lui ; il était isolé, abandonné, affaibli, miné, oublié. Gilliatt avait sa cambuse vide, son outillage ébréché ou défaillant, la soif et la faim le jour, le froid la nuit, des plaies et des loques, des guenilles sur des suppurations, des trous aux habits et à la chair, les mains déchirées, les pieds saignants, les membres maigres, le visage livide, une flamme dans les yeux.

Flamme superbe, la volonté visible. L’œil de l’homme est ainsi fait qu’on y aperçoit sa vertu. Notre prunelle dit quelle quantité d’homme il y a en nous. Nous nous affirmons par la lumière qui est sous notre sourcil. Les petites consciences clignent de l’œil, les grandes jettent des éclairs. Si rien ne brille sous la paupière, c’est que rien ne pense dans le cerveau, c’est que rien n’aime dans le cœur. Celui qui aime veut, et celui qui veut éclaire et éclate. La résolution met le feu au regard ; feu admirable qui se compose de la combustion des pensées timides.

Les opiniâtres sont les sublimes. Qui n’est que brave n’a qu’un accès, qui n’est que vaillant n’a qu’un tempérament, qui n’est que courageux n’a qu’une vertu ; l’obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs est dans ce mot : perseverando. La persévérance est au courage ce que la roue est au levier ; c’est le renouvellement perpétuel du point d’appui. Que le but soit sur la terre ou