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NOTES DES MISÉRABLES.

Peu de nations sont rongées plus profondément que l’Italie par cet ulcère des couvents que j’ai tâché de sonder. Vous avez beau avoir Rome, Milan, Naples, Palerme, Turin, Florence, Sienne, Pise, Mantoue, Bologne, Ferrare, Gènes, Venise, une histoire héroïque, des ruines sublimes, des monuments magnifiques, des villes superbes, vous êtes, comme nous, des pauvres. Vous êtes couverts de merveilles et de vermines. Certes le soleil de l’Italie est splendide, mais, hélas, l’azur sur le ciel n’empêche pas le haillon sur l’homme.

Vous avez comme nous des préjugés, des superstitions, des tyrannies, des fanatismes, des lois aveugles prêtant main-forte à des mœurs ignorantes. Vous ne goûtez rien du présent ni de l’avenir sans qu’il s’y mêle un arrière-goût du passé. Vous avez un barbare, le moine, et un sauvage, le lazzarone. La question sociale est la même pour vous comme pour nous. On meurt un peu moins de faim chez vous, et un peu plus de fièvre ; votre hygiène sociale n’est pas beaucoup meilleure que la nôtre ; les ténèbres, protestantes en Angleterre, sont catholiques en Italie ; mais, sous des noms différents, le vescovo est identique au bishop, et c’est toujours là de la nuit, et à peu près de même qualité. Mal expliquer la Bible ou mal comprendre l’Évangile, cela se vaut.

Faut-il insister ? faut-il constater plus complètement encore en parallélisme lugubre ? Est-ce que vous n’avez pas d’indigents ! Regardez en bas. Est-ce que vous n’avez pas de parasites ? Regardez en haut. Cette balance hideuse dont les deux plateaux, paupérisme et parasitisme, se font si douloureusement équilibre, est-ce qu’elle n’oscille pas devant vous comme devant nous ?

Où est votre armée de maîtres d’école, la seule armée qu’avoue la civilisation ? où sont vos écoles gratuites et obligatoires ? Tout le monde sait-il lire dans la patrie de Dante et de Michel-Ange ? Avez-vous fait des prytanées de vos casernes ? N’avez-vous pas, comme nous, un budget de la guerre opulent et un budget de l’enseignement dérisoire ? N’avez-vous pas, vous aussi, l’obéissance passive qui, si aisément, tourne au soldatesque ? N’avez-vous pas un militarisme qui pousse la consigne jusqu’à faire feu sur Garibaldi, c’est-à-dire sur l’honneur vivant de l’Italie ? Faisons passer son examen à votre ordre social, prenons-le où il en est et tel qu’il est, voyons son flagrant délit, montrez-moi la femme et l’enfant. C’est à la quantité de protection qui entoure ces deux êtres faibles que