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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

il se rapprochait de l’horizon sombre. Son souffle était devenu intermittent ; un peu de râle l’entrecoupait. Il avait de la peine à déplacer son avant-bras, ses pieds avaient perdu tout mouvement, et, en même temps que la misère des membres et l’accablement du corps croissait, toute la majesté de l’âme montait et se déployait sur son front. La lumière du monde inconnu était déjà visible dans sa prunelle.

Sa figure blêmissait et souriait. La vie n’était plus là, il y avait autre chose. Son haleine tombait, son regard grandissait. C’était un cadavre auquel on sentait des ailes.

Il fit signe à Cosette d’approcher, puis à Marius ; c’était évidemment la dernière minute de la dernière heure, et il se mit à leur parler d’une voix si faible qu’elle semblait venir de loin, et qu’on eût dit qu’il y avait dès à présent une muraille entre eux et lui.

— Approche, approchez tous deux. Je vous aime bien. Oh ! c’est bon de mourir comme cela ! Toi aussi, tu m’aimes, ma Cosette. Je savais bien que tu avais toujours de l’amitié pour ton vieux bonhomme. Comme tu es gentille de m’avoir mis ce coussin sous les reins ! Tu me pleureras un peu, n’est-ce pas ? Pas trop. Je ne veux pas que tu aies de vrais chagrins. Il faudra vous amuser beaucoup, mes enfants. J’ai oublié de vous dire que sur les boucles sans ardillons on gagnait encore plus que sur tout le reste. La grosse, les douze douzaines, revenait à dix francs, et se vendait soixante. C’était vraiment un bon commerce. Il ne faut donc pas s’étonner des six cent mille francs, monsieur Pontmercy. C’est de l’argent honnête. Vous pouvez être riches tranquil-