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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Comment oser en chercher le fond ? C’est une épouvante de questionner l’ombre. Qui sait ce qu’elle va répondre ? L’aube pourrait en être noircie pour jamais.

Dans cette situation d’esprit, c’était pour Marius une perplexité poignante de penser que cet homme aurait désormais un contact quelconque avec Cosette. Ces questions redoutables, devant lesquelles il avait reculé, et d’où aurait pu sortir une décision implacable et définitive, il se reprochait presque à présent de ne pas les avoir faites. Il se trouvait trop bon, trop doux, disons le mot, trop faible. Cette faiblesse l’avait entraîné à une concession imprudente. Il s’était laissé toucher. Il avait eu tort. Il aurait dû purement et simplement rejeter Jean Valjean. Jean Valjean était la part du feu, il aurait dû la faire, et débarrasser sa maison de cet homme. Il s’en voulait, il en voulait à la brusquerie de ce tourbillon d’émotions qui l’avait assourdi, aveuglé, et entraîné. Il était mécontent de lui-même.

Que faire maintenant ? Les visites de Jean Valjean lui répugnaient profondément. À quoi bon cet homme chez lui ? que faire ? Ici il s’étourdissait, il ne voulait pas creuser, il ne voulait pas approfondir ; il ne voulait pas se sonder lui-même. Il avait promis, il s’était laissé entraîner à promettre ; Jean Valjean avait sa promesse ; même à un forçat, surtout à un forçat, on doit tenir sa parole. Toutefois, son premier devoir était envers Cosette. En somme, une répulsion, qui dominait tout, le soulevait.

Marius roulait confusément tout cet ensemble d’idées dans son esprit, passant de l’une à l’autre, et remué par toutes. De là un trouble profond. Il ne lui fut pas aisé de