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LA DERNIÈRE GORGÉE DU CALICE.

jean avait travaillé à Cosette. Il avait un peu fait cette âme. C’était incontestable. Eh bien, après ? L’ouvrier était horrible ; mais l’œuvre était admirable. Dieu produit ses miracles comme bon lui semble. Il avait construit cette charmante Cosette, et il avait employé Jean Valjean. Il lui avait plu de se choisir cet étrange collaborateur. Quel compte avons-nous à lui demander ? Est-ce la première fois que le fumier aide le printemps à faire la rose ?

Marius se faisait ces réponses-là et se déclarait à lui-même qu’elles étaient bonnes. Sur tous les points que nous venons d’indiquer, il n’avait pas osé presser Jean Valjean, sans s’avouer à lui-même qu’il ne l’osait pas. Il adorait Cosette, il possédait Cosette, Cosette était splendidement pure. Cela lui suffisait. De quel éclaircissement avait-il besoin ? Cosette était une lumière. La lumière a-t-elle besoin d’être éclaircie ? Il avait tout ; que pouvait-il désirer ? Tout, est-ce que ce n’est pas assez ? Les affaires personnelles de Jean Valjean ne le regardaient pas. En se penchant sur l’ombre fatale de cet homme, il se cramponnait à cette déclaration solennelle du misérable : Je ne suis rien à Cosette. Il y a dix ans, je ne savais pas qu’elle existât.

Jean Valjean était un passant. Il l’avait dit lui-même. Eh bien, il passait. Quel qu’il fût, son rôle était fini. Il y avait désormais Marius pour faire les fonctions de la providence près de Cosette. Cosette était venue retrouver dans l’azur son pareil, son amant, son époux, son mâle céleste. En s’envolant, Cosette, ailée et transfigurée, laissait derrière elle à terre, vide et hideuse, sa chrysalide, Jean Valjean.

Dans quelque cercle d’idées que tournât Marius, il en