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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

eu pour point d’appui le monstre. L’enfance et l’adolescence de Cosette, sa venue au jour, sa virginale croissance vers la vie et la lumière, avaient été abritées par ce dévouement difforme. Ici, les questions s’exfoliaient, pour ainsi parler, en énigmes innombrables, les abîmes s’ouvraient au fond des abîmes, et Marius ne pouvait plus se pencher sur Jean Valjean sans vertige. Qu’était-ce donc que cet homme précipice ?

Les vieux symboles génésiaques sont éternels ; dans la société humaine, telle qu’elle existe, jusqu’au jour où une clarté plus grande la changera, il y a à jamais deux hommes, l’un supérieur, l’autre souterrain ; celui qui est selon le bien, c’est Abel ; celui qui est selon le mal, c’est Caïn. Qu’était-ce que ce Caïn tendre ? Qu’était-ce que ce bandit religieusement absorbé dans l’adoration d’une vierge, veillant sur elle, l’élevant, la gardant, la dignifiant et l’enveloppant, lui impur, de pureté ? Qu’était-ce que ce cloaque qui avait vénéré cette innocence au point de ne pas lui laisser une tache ? Qu’était-ce que ce Jean Valjean faisant l’éducation de Cosette ? Qu’était-ce que cette figure de ténèbres ayant pour unique soin de préserver de toute ombre et de tout nuage le lever d’un astre ?

Là était le secret de Jean Valjean ; là aussi était le secret de Dieu.

Devant ce double secret, Marius reculait. L’un en quelque sorte le rassurait sur l’autre. Dieu était dans cette aventure aussi visible que Jean Valjean. Dieu a ses instruments. Il se sert de l’outil qu’il veut. Il n’est pas responsable devant l’homme. Savons-nous comment Dieu s’y prend ? Jean Val-