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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

répondait à un raisonnement intérieur, il dit en regardant cette glace où il ne se voyait pas :

— Tandis qu’à présent je suis soulagé !

Il se remit à marcher et alla à l’autre bout du salon. À l’instant où il se retourna, il s’aperçut que Marius le regardait marcher. Alors il lui dit avec un accent inexprimable :

— Je traîne un peu la jambe. Vous comprenez maintenant pourquoi.

Puis il acheva de se tourner vers Marius :

— Et maintenant, monsieur, figurez-vous ceci : Je n’ai rien dit, je suis resté monsieur Fauchelevent, j’ai pris ma place chez vous, je suis des vôtres, je suis dans ma chambre, je viens déjeuner le matin en pantoufles, les soirs nous allons au spectacle tous les trois, j’accompagne madame Pontmercy aux Tuileries et à la place Royale, nous sommes ensemble, vous me croyez votre semblable ; un beau jour, je suis là, vous êtes là, nous causons, nous rions, tout à coup vous entendez une voix crier ce nom : Jean Valjean ! et voilà que cette main épouvantable, la police, sort de l’ombre et m’arrache mon masque brusquement !

Il se tut encore ; Marius s’était levé avec un frémissement. Jean Valjean reprit :

— Qu’en dites-vous ?

Le silence de Marius répondait.

Jean Valjean continua :

— Vous voyez bien que j’ai raison de ne pas me taire. Tenez, soyez heureux, soyez dans le ciel, soyez l’ange d’un ange, soyez dans le soleil, et contentez-vous-en, et ne vous inquiétez pas de la manière dont un pauvre damné s’y prend