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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

serait-il à ce bonheur ? Le traiterait-il comme lui appartenant ? Sans doute Cosette était à un autre ; mais lui Jean Valjean retiendrait-il de Cosette tout ce qu’il en pourrait retenir ? Resterait-il l’espèce de père entrevu, mais respecté, qu’il avait été jusqu’alors ? S’introduirait-il tranquillement dans la maison de Cosette ? Apporterait-il, sans dire mot, son passé à cet avenir ? Se présenterait-il là comme ayant droit, et viendrait-il s’asseoir, voilé, à ce lumineux foyer ? Prendrait-il, en leur souriant, les mains de ces innocents dans ses deux mains tragiques ? Poserait-il sur les paisibles chenets du salon Gillenormand ses pieds qui traînaient derrière eux l’ombre infamante de la loi ? Entrerait-il en participation de chances avec Cosette et Marius ? Épaissirait-il l’obscurité sur son front et le nuage dans le leur ? Mettrait-il en tiers avec deux félicités sa catastrophe ? Continuerait-il de se taire ? En un mot serait-il, près de ces deux êtres heureux, le sinistre muet de la destinée ?

Il faut être habitué à la fatalité et à ses rencontres pour oser lever les yeux quand de certaines questions nous apparaissent dans leur nudité horrible. Le bien ou le mal sont derrière ce sévère point d’interrogation. Que vas-tu faire ? demanda le sphinx.

Cette habitude de l’épreuve, Jean Valjean l’avait. Il regarda le sphinx fixement.

Il examina l’impitoyable problème sous toutes ses faces.

Cosette, cette existence charmante, était le radeau de ce naufragé. Que faire ? S’y cramponner, ou lâcher prise ?

S’il s’y cramponnait, il sortait du désastre, il remontait