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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

étaient dans un de ces moments égoïstes et bénis où l’on n’a pas d’autre faculté que de percevoir le bonheur. Et puis, M. Gillenormand eut une idée. — Pardieu, ce fauteuil est vide. Viens-y, Marius. Ta tante, quoiqu’elle ait droit à toi, te le permettra. Ce fauteuil est pour toi. C’est légal, et c’est gentil. Fortunatus près de Fortunata. — Applaudissement de toute la table. Marius prit près de Cosette la place de Jean Valjean ; et les choses s’arrangèrent de telle sorte que Cosette, d’abord triste de l’absence de Jean Valjean, finit par en être contente. Du moment où Marius était le remplaçant, Cosette n’eût pas regretté Dieu. Elle mit son doux petit pied chaussé de satin blanc sur le pied de Marius.

Le fauteuil occupé, M. Fauchelevent fut effacé ; et rien ne manqua. Et, cinq minutes après, la table entière riait d’un bout à l’autre avec toute la verve de l’oubli.

Au dessert, M. Gillenormand debout, un verre de vin de champagne en main, à demi plein pour que le tremblement de ses quatrevingt-douze ans ne le fît pas déborder, porta la santé des mariés.

— Vous n’échapperez pas à deux sermons, s’écria-t-il. Vous avez eu le matin celui du curé, vous aurez le soir celui du grand-père. Écoutez-moi ; je vais vous donner un conseil : adorez-vous. Je ne fais pas un tas de giries, je vais au but, soyez heureux. Il n’y a pas dans la création d’autres sages que les tourtereaux. Les philosophes disent : Modérez vos joies. Moi je dis : Lâchez-leur la bride, à vos joies. Soyez épris comme des diables. Soyez enragés. Les philosophes radotent. Je voudrais leur faire rentrer leur philosophie dans la gargoine. Est-ce qu’il peut y avoir trop de