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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

s’écria avec une vivacité qui avait presque la vibration de la colère :

— Oui, cet homme-là, quel qu’il soit, a été sublime. Savez-vous ce qu’il a fait, monsieur ? Il est intervenu comme l’archange. Il a fallu qu’il se jetât au milieu du combat, qu’il me dérobât, qu’il ouvrît l’égout, qu’il m’y traînât, qu’il m’y portât ! Il a fallu qu’il fît plus d’une lieue et demie dans d’affreuses galeries souterraines, courbé, ployé, dans les ténèbres, dans le cloaque, plus d’une lieue et demie, monsieur, avec un cadavre sur le dos ! Et dans quel but ? Dans l’unique but de sauver ce cadavre. Et ce cadavre, c’était moi. Il s’est dit : Il y a encore là peut-être une lueur de vie ; je vais risquer mon existence à moi pour cette misérable étincelle ! Et son existence, il ne l’a pas risquée une fois, mais vingt ! Et chaque pas était un danger. La preuve, c’est qu’en sortant de l’égout il a été arrêté. Savez-vous, monsieur, que cet homme a fait tout cela ? Et aucune récompense à attendre. Qu’étais-je ? Un insurgé. Qu’étais-je ? Un vaincu. Oh ! si les six cent mille francs de Cosette étaient à moi…

— Ils sont à vous, interrompit Jean Valjean.

— Eh bien, reprit Marius, je les donnerais pour retrouver cet homme !

Jean Valjean garda le silence.