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LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE.

lui, puis se dissipaient. Tous ces êtres chers, douloureux, vaillants, charmants ou tragiques, étaient-ce des songes ? avaient-ils en effet existé ? L’émeute avait tout roulé dans sa fumée. Ces grandes fièvres ont de grands rêves. Il s’interrogeait ; il se tâtait ; il avait le vertige de toutes ces réalités évanouies. Où étaient-ils donc tous ? était-ce bien vrai que tout fût mort ? Une chute dans les ténèbres avait tout emporté, excepté lui. Tout cela lui semblait avoir disparu comme derrière une toile de théâtre. Il y a de ces rideaux qui s’abaissent dans la vie. Dieu passe à l’acte suivant.

Et lui-même, était-il bien le même homme ? Lui, le pauvre, il était riche ; lui, l’abandonné, il avait une famille ; lui, le désespéré, il épousait Cosette. Il lui semblait qu’il avait traversé une tombe, et qu’il y était entré noir, et qu’il en était sorti blanc. Et cette tombe, les autres y étaient restés. À de certains instants, tous ces êtres du passé, revenus et présents, faisaient cercle autour de lui et l’assombrissaient ; alors il songeait à Cosette, et redevenait serein ; mais il ne fallait rien moins que cette félicité pour effacer cette catastrophe.

M. Fauchelevent avait presque place parmi ces êtres évanouis. Marius hésitait à croire que le Fauchelevent de la barricade fût le même que ce Fauchelevent en chair et en os, si gravement assis près de Cosette. Le premier était probablement un de ces cauchemars apportés et remportés par ses heures de délire. Du reste, leurs deux natures étant escarpées, aucune question n’était possible de Marius à M. Fauchelevent. L’idée ne lui en fût pas même