Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/337

Cette page a été validée par deux contributeurs.
329
LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE.

égrenait son rosaire, lisait son eucologe, chuchotait dans un coin de la maison des Ave pendant qu’on chuchotait dans l’autre des I love you, et, vaguement, voyait Marius et Cosette comme deux ombres. L’ombre, c’était elle.

Il y a un certain état d’ascétisme inerte où l’âme, neutralisée par l’engourdissement, étrangère à ce qu’on pourrait appeler l’affaire de vivre, ne perçoit, à l’exception des tremblements de terre et des catastrophes, aucune des impressions humaines, ni les impressions plaisantes, ni les impressions pénibles. — Cette dévotion-là, disait le père Gillenormand à sa fille, correspond au rhume de cerveau. Tu ne sens rien de la vie. Pas de mauvaise odeur, mais pas de bonne.

Du reste, les six cent mille francs avaient fixé les indécisions de la vieille fille. Son père avait pris l’habitude de la compter si peu qu’il ne l’avait pas consultée sur le consentement au mariage de Marius. Il avait agi de fougue, selon sa mode, n’ayant, despote devenu esclave, qu’une pensée, satisfaire Marius. Quant à la tante, que la tante existât, et qu’elle pût avoir un avis, il n’y avait pas même songé, et, toute moutonne qu’elle était, ceci l’avait froissée. Quelque peu révoltée dans son for intérieur, mais extérieurement impassible, elle s’était dit : Mon père résout la question du mariage sans moi ; je résoudrai la question de l’héritage sans lui. Elle était riche, en effet, et le père ne l’était pas. Elle avait donc réservé là-dessus sa décision. Il est probable que, si le mariage eût été pauvre, elle l’eût laissé pauvre. Tant pis pour monsieur mon neveu ! Il épouse une gueuse, qu’il soit gueux. Mais le demi-million de