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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

unique de la vie pour vous envoler dans l’empyrée avec les cygnes et les aigles, quitte à retomber le lendemain dans la bourgeoisie des grenouilles. N’économisez point sur l’hyménée, ne lui rognez pas ses splendeurs ; ne liardez pas le jour où vous rayonnez. La noce n’est pas le ménage. Oh ! si je faisais à ma fantaisie, ce serait galant. On entendrait des violons dans les arbres. Voici mon programme : bleu de ciel et argent. Je mêlerais à la fête les divinités agrestes, je convoquerais les dryades et les néréides. Les noces d’Amphitrite, une nuée rose, des nymphes bien coiffées et toutes nues, un académicien offrant des quatrains à la déesse, un char traîné par des monstres marins.


Triton trottait devant, et tirait de sa conque
Des sons si ravissants qu’il ravissait quiconque !


— Voilà un programme de fête, en voilà un, ou je ne m’y connais pas, sac à papier !

Pendant que le grand-père, en pleine effusion lyrique, s’écoutait lui-même, Cosette et Marius s’enivraient de se regarder librement.

La tante Gillenormand considérait tout cela avec sa placidité imperturbable. Elle avait eu depuis cinq ou six mois une certaine quantité d’émotions ; Marius revenu, Marius rapporté sanglant, Marius rapporté d’une barricade, Marius mort, puis vivant, Marius réconcilié, Marius fiancé, Marius se mariant avec une pauvresse, Marius se mariant avec une millionnaire. Les six cent mille francs avaient été sa dernière surprise. Puis son indifférence de première communiante lui était revenue. Elle allait régulièrement aux offices,