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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

et mignonnes, ce luxe réjouissant que chacun avait, la musique faisant partie de la noce, symphonie en haut, tambourinage en bas, les danses, les joyeux visages attablés, les madrigaux alambiqués, les chansons, les fusées d’artifice, les francs rires, le diable et son train, les gros nœuds de rubans. Je regrette la jarretière de la mariée. La jarretière de la mariée est cousine de la ceinture de Vénus. Sur quoi roule la guerre de Troie ? Parbleu, sur la jarretière d’Hélène. Pourquoi se bat-on, pourquoi Diomède le divin fracasse-t-il sur la tête de Mérionée ce grand casque d’airain à dix pointes, pourquoi Achille et Hector se pignochent-ils à grands coups de pique ? Parce que Hélène a laissé prendre à Pâris sa jarretière. Avec la jarretière de Cosette, Homère ferait l’Iliade. Il mettrait dans son poëme un vieux bavard comme moi, et il le nommerait Nestor. Mes amis, autrefois, dans cet aimable autrefois, on se mariait savamment ; on faisait un bon contrat, ensuite une bonne boustifaille. Sitôt Cujas sorti, Gamache entrait. Mais, dame ! c’est que l’estomac est une bête agréable qui demande son dû, et qui veut avoir sa noce aussi. On soupait bien, et l’on avait à table une belle voisine sans guimpe qui ne cachait sa gorge que modérément ! Oh ! les larges bouches riantes, et comme on était gai dans ce temps-là ! la jeunesse était un bouquet ; tout jeune homme se terminait par une branche de lilas ou par une touffe de roses ; fût-on guerrier, on était berger ; et si, par hasard, on était capitaine de dragons, on trouvait moyen de s’appeler Florian. On tenait à être joli. On se brodait, on s’empourprait. Un bourgeois avait l’air d’une fleur, un marquis avait l’air d’une pierrerie. On n’avait pas