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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

peu. Elle avait Marius. Le jeune homme arrivait, le bonhomme s’effaçait ; la vie est ainsi.

Et puis, Cosette était habituée depuis longues années à voir autour d’elle des énigmes ; tout être qui a eu une enfance mystérieuse est toujours prêt à de certains renoncements.

Elle continua pourtant de dire à Jean Valjean : Père.

Cosette, aux anges, était enthousiasmée du père Gillenormand. Il est vrai qu’il la comblait de madrigaux et de cadeaux. Pendant que Jean Valjean construisait à Cosette une situation normale dans la société et une possession d’état inattaquable, M. Gillenormand veillait à la corbeille de noces. Rien ne l’amusait comme d’être magnifique. Il avait donné à Cosette une robe de guipure de Binche qui lui venait de sa propre grand’mère à lui. — Ces modes-là renaissent, disait-il, les antiquailles font fureur, et les jeunes femmes de ma vieillesse s’habillent comme les vieilles femmes de mon enfance.

Il dévalisait ses respectables commodes de laque de Coromandel à panse bombée qui n’avaient pas été ouvertes depuis des ans. — Confessons ces douairières, disait-il ; voyons ce qu’elles ont dans la bedaine. Il violait bruyamment des tiroirs ventrus pleins des toilettes de toutes ses femmes, de toutes ses maîtresses, et de toutes ses aïeules. Pékins, damas, lampas, moires peintes, robes de gros de Tours flambé, mouchoirs des Indes brodés d’un or qui peut se laver, dauphines sans envers en pièces, points de Gênes et d’Alençon, parures en vieille orfèvrerie, bonbonnières d’ivoire ornées de batailles microscopiques, nippes, rubans,