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LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE.

Puis, comme il y avait des assistants, ils s’interrompirent et ne dirent plus un mot, se bornant à se toucher tout doucement la main.

M. Gillenormand se tourna vers tous ceux qui étaient dans la chambre et cria :

— Parlez donc haut, vous autres. Faites du bruit, la cantonade. Allons, un peu de brouhaha, que diable ! que ces enfants puissent jaser à leur aise.

Et, s’approchant de Marius et de Cosette, il leur dit tout bas :

— Tutoyez-vous. Ne vous gênez pas.

La tante Gillenormand assistait avec stupeur à cette irruption de lumière dans son intérieur vieillot. Cette stupeur n’avait rien d’agressif ; ce n’était pas le moins du monde le regard scandalisé et envieux d’une chouette à deux ramiers ; c’était l’œil bête d’une pauvre innocente de cinquante-sept ans ; c’était la vie manquée regardant ce triomphe, l’amour.

— Mademoiselle Gillenormand aînée, lui disait son père, je t’avais bien dit que cela t’arriverait.

Il resta un moment silencieux et ajouta :

— Regarde le bonheur des autres.

Puis il se tourna vers Cosette :

— Qu’elle est jolie ! qu’elle est jolie ! C’est un Greuze. Tu vas donc avoir cela pour toi seul, polisson ! Ah ! mon coquin, tu l’échappes belle avec moi, tu es heureux, si je n’avais pas quinze ans de trop, nous nous battrions à l’épée à qui l’aurait. Tiens ! je suis amoureux de vous, mademoiselle. C’est tout simple. C’est votre droit. Ah ! la belle jolie char-