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LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE.

avais compté sur de la bisbille. Tu ne savais pas que j’étais un vieux lâche. Qu’est-ce que tu dis de ça ? Tu bisques. Trouver ton grand-père encore plus bête que toi, tu ne t’y attendais pas, tu perds le discours que tu devais me faire, monsieur l’avocat, c’est taquinant. Eh bien, tant pis, rage. Je fais ce que tu veux, ça te la coupe, imbécile ! Écoute. J’ai pris des renseignements, moi aussi je suis sournois ; elle est charmante, elle est sage, le lancier n’est pas vrai, elle a fait des tas de charpie, c’est un bijou ; elle t’adore. Si tu étais mort, nous aurions été trois ; sa bière aurait accompagné la mienne. J’avais bien eu l’idée, dès que tu as été mieux, de te la camper tout bonnement à ton chevet, mais il n’y a que dans les romans qu’on introduit tout de go les jeunes filles près du lit des jolis blessés qui les intéressent. Ça ne se fait pas. Qu’aurait dit ta tante ? Tu étais tout nu les trois quarts du temps, mon bonhomme. Demande à Nicolette, qui ne t’a pas quitté une minute, s’il y avait moyen qu’une femme fût là. Et puis qu’aurait dit le médecin ? Ça ne guérit pas la fièvre, une jolie fille. Enfin, c’est bon, n’en parlons plus, c’est dit, c’est fait, c’est bâclé, prends-la. Telle est ma férocité. Vois-tu, j’ai vu que tu ne m’aimais pas, j’ai dit : Qu’est-ce que je pourrais donc faire pour que cet animal-là m’aime ? J’ai dit : Tiens, j’ai ma petite Cosette sous la main, je vais la lui donner, il faudra bien qu’il m’aime alors un peu, ou qu’il dise pourquoi. Ah ! tu croyais que le vieux allait tempêter, faire la grosse voix, crier non, et lever la canne sur toute cette aurore. Pas du tout. Cosette, soit. Amour, soit. Je ne demande pas mieux. Monsieur, prenez la peine de vous marier. Sois heureux, mon enfant bien-aimé.