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JAVERT DÉRAILLÉ.

Quoi ! le défaut de la cuirasse de la société pouvait être trouvé par un misérable magnanime ! Quoi ! un honnête serviteur de la loi pouvait se voir tout à coup pris entre deux crimes, le crime de laisser échapper un homme, et le crime de l’arrêter ! Tout n’était pas certain dans la consigne donnée par l’état au fonctionnaire ! Il pouvait y avoir des impasses dans le devoir ! Quoi donc ! tout cela était réel ! était-il vrai qu’un ancien bandit, courbé sous les condamnations, pût se redresser, et finir par avoir raison ? était-ce croyable ? y avait-il donc des cas où la loi devait se retirer devant le crime transfiguré en balbutiant des excuses ?

Oui, cela était ! et Javert le voyait ! et Javert le touchait ! et non-seulement il ne pouvait le nier, mais il y prenait part. C’étaient des réalités. Il était abominable que les faits réels pussent arriver à une telle difformité.

Si les faits faisaient leur devoir, ils se borneraient à être les preuves de la loi ; les faits, c’est Dieu qui les envoie. L’anarchie allait-elle donc maintenant descendre de là-haut ?

Ainsi, — et dans le grossissement de l’angoisse, et dans l’illusion d’optique de la consternation, tout ce qui eût pu restreindre et corriger son impression s’effaçait, et la société, et le genre humain, et l’univers se résumaient désormais à ses yeux dans un linéament simple et terrible, — ainsi la pénalité, la chose jugée, la force due à la législation, les arrêts des cours souveraines, la magistrature, le gouvernement, la prévention et la répression, la sagesse officielle, l’infaillibilité légale, le principe d’autorité, tous les dogmes sur lesquels repose la sécurité politique et civile, la souveraineté, la justice, la logique découlant du code, l’absolu