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JAVERT DÉRAILLÉ.

cevoir subitement qu’on a sous sa mamelle de bronze quelque chose d’absurde et de désobéissant qui ressemble presque à un cœur ! en venir à rendre le bien pour le bien, quoiqu’on se soit dit jusqu’à ce jour que ce bien-là c’est le mal ! être le chien de garde, et lécher ! être la glace, et fondre ! être la tenaille, et devenir une main ! se sentir tout à coup des doigts qui s’ouvrent ! lâcher prise, chose épouvantable !

L’homme projectile ne sachant plus sa route, et reculant !

Être obligé de s’avouer ceci : l’infaillibilité n’est pas infaillible, il peut y avoir de l’erreur dans le dogme, tout n’est pas dit quand un code a parlé, la société n’est pas parfaite, l’autorité est compliquée de vacillation, un craquement dans l’immuable est possible, les juges sont des hommes, la loi peut se tromper, les tribunaux peuvent se méprendre ! voir une fêlure dans l’immense vitre bleue du firmament !

Ce qui se passait dans Javert, c’était le Fampoux d’une conscience rectiligne, la mise hors de voie d’une âme, l’écrasement d’une probité irrésistiblement lancée en ligne droite et se brisant à Dieu. Certes, cela était étrange, que le chauffeur de l’ordre, que le mécanicien de l’autorité, monté sur l’aveugle cheval de fer à voie rigide, puisse être désarçonné par un coup de lumière ! que l’incommutable, le direct, le correct, le géométrique, le passif, le parfait, puisse fléchir ! qu’il y ait pour la locomotive un chemin de Damas !

Dieu, toujours intérieur à l’homme, et réfractaire, lui la vraie conscience, à la fausse, défense à l’étincelle de s’éteindre, ordre au rayon de se souvenir du soleil, injonc-