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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

prit le bras. L’aïeul se retourna, le regarda avec des yeux qui semblaient agrandis et sanglants, et lui dit avec calme :

— Monsieur, je vous remercie. Je suis tranquille, je suis un homme, j’ai vu la mort de Louis XVI, je sais porter les événements. Il y a une chose qui est terrible, c’est de penser que ce sont vos journaux qui font tout le mal. Vous aurez des écrivassiers, des parleurs, des avocats, des orateurs, des tribunes, des discussions, des progrès, des lumières, des droits de l’homme, de la liberté de la presse, et voilà comment on vous rapportera vos enfants dans vos maisons ! Ah ! Marius ! c’est abominable ! Tué ! mort avant moi ! Une barricade ! Ah ! le bandit ! Docteur, vous demeurez dans le quartier, je crois ? Oh ! je vous connais bien. Je vois de ma fenêtre passer votre cabriolet. Je vais vous dire. Vous auriez tort de croire que je suis en colère. On ne se met pas en colère contre un mort. Ce serait stupide. C’est un enfant que j’ai élevé. J’étais déjà vieux, qu’il était encore tout petit. Il jouait aux Tuileries avec sa petite pelle et sa petite chaise, et, pour que les inspecteurs ne grondassent pas, je bouchais à mesure avec ma canne les trous qu’il faisait dans la terre avec sa pelle. Un jour il a crié : À bas Louis XVIII ! et s’en est allé. Ce n’est pas ma faute. Il était tout rose et tout blond. Sa mère est morte. Avez-vous remarqué que tous les petits enfants sont blonds ? À quoi cela tient-il ? C’est le fils d’un de ces brigands de la Loire, mais les enfants sont innocents des crimes de leurs pères. Je me le rappelle quand il était haut comme ceci. Il ne pouvait pas parvenir à prononcer les d. Il avait un parler si doux et si obscur qu’on eût cru un oiseau. Je me souviens qu’une fois, devant l’Hercule