Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
LA BOUE, MAIS L’ÂME.

berge très étroite, mais suffisante pour s’en aller, les quais lointains, Paris, ce gouffre où l’on se dérobe si aisément, le large horizon, la liberté. On distinguait à droite, en aval, le pont d’Iéna, et à gauche, en amont, le pont des Invalides ; l’endroit eût été propice pour attendre la nuit et s’évader. C’était un des points les plus solitaires de Paris ; la berge qui fait face au Gros-Caillou. Les mouches entraient et sortaient à travers les barreaux de la grille.

Il pouvait être huit heures et demie du soir. Le jour baissait.

Jean Valjean déposa Marius le long du mur sur la partie sèche du radier, puis marcha à la grille et crispa ses deux poings sur les barreaux ; la secousse fut frénétique, l’ébranlement nul. La grille ne bougea pas. Jean Valjean saisit les barreaux l’un après l’autre, espérant pouvoir arracher le moins solide et s’en faire un levier pour soulever la porte ou pour briser la serrure. Aucun barreau ne remua. Les dents d’un tigre ne sont pas plus solides dans leurs alvéoles. Pas de levier ; pas de pesée possible. L’obstacle était invincible. Aucun moyen d’ouvrir la porte.

Fallait-il donc finir là ? Que faire ? que devenir ? Rétrograder ; recommencer le trajet effrayant qu’il avait déjà parcouru ; il n’en avait pas la force. D’ailleurs, comment traverser de nouveau cette fondrière d’où l’on ne s’était tiré que par miracle ? Et après la fondrière, n’y avait-il pas cette ronde de police à laquelle, certes, on n’échapperait pas deux fois ? Et puis où aller ? quelle direction prendre ? Suivre la pente, ce n’était point aller au but. Arrivât-on à une autre issue, on la trouverait obstruée d’un tampon ou