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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

crosse, les sapeurs à coups de hache. Les assaillants s’étaient groupés sur cette porte. C’était maintenant le siège du cabaret qui commençait.

Les soldats, disons-le, étaient pleins de colère.

La mort du sergent d’artillerie les avait irrités, et puis, chose plus funeste, pendant les quelques heures qui avaient précédé l’attaque, il s’était dit parmi eux que les insurgés mutilaient les prisonniers, et qu’il y avait dans le cabaret le cadavre d’un soldat sans tête. Ce genre de rumeurs fatales est l’accompagnement ordinaire des guerres civiles, et ce fut un faux bruit de cette espèce qui causa plus tard la catastrophe de la rue Transnonain.

Quand la porte fut barricadée, Enjolras dit aux autres :

— Vendons-nous cher.

Puis il s’approcha de la table où étaient étendus Mabeuf et Gavroche. On voyait sous le drap noir deux formes droites et rigides, l’une grande, l’autre petite, et les deux visages se dessinaient vaguement sous les plis froids du suaire. Une main sortait de dessous le linceul et pendait vers la terre. C’était celle du vieillard.

Enjolras se pencha et baisa cette main vénérable, de même que la veille il avait baisé le front.

C’étaient les deux seuls baisers qu’il eût donnés dans sa vie.

Abrégeons. La barricade avait lutté comme une porte de Thèbes, le cabaret lutta comme une maison de Saragosse. Ces résistances-là sont bourrues. Pas de quartier. Pas de parlementaire possible. On veut mourir pourvu qu’on tue. Quand Suchet dit : — Capitulez, Palafox répond : « Après