Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
LA GUERRE ENTRE QUATRE MURS.

La grandeur et la beauté de la France, c’est qu’elle prend moins de ventre que les autres peuples ; elle se noue plus aisément la corde aux reins. Elle est la première éveillée, la dernière endormie. Elle va en avant. Elle est chercheuse.

Cela tient à ce qu’elle est artiste.

L’idéal n’est autre chose que le point culminant de la logique, de même que le beau n’est autre chose que la cime du vrai. Les peuples artistes sont aussi les peuples conséquents. Aimer la beauté, c’est voir la lumière. C’est ce qui fait que le flambeau de l’Europe, c’est-à-dire de la civilisation, a été porté d’abord par la Grèce qui l’a passé à l’Italie, qui l’a passé à la France. Divins peuples éclaireurs ! Vitaï lampada tradunt.

Chose admirable, la poésie d’un peuple est l’élément de son progrès. La quantité de civilisation se mesure à la quantité d’imagination. Seulement un peuple civilisateur doit rester un peuple mâle. Corinthe, oui ; Sybaris, non. Qui s’effémine s’abâtardit. Il ne faut être ni dilettante, ni virtuose ; mais il faut être artiste. En matière de civilisation, il ne faut pas raffiner, mais il faut sublimer. À cette condition, on donne au genre humain le patron de l’idéal.

L’idéal moderne a son type dans l’art, et son moyen dans la science. C’est par la science qu’on réalisera cette vision auguste des poètes, le beau social. On refera l’Éden par A + B. Au point où la civilisation est parvenue, l’exact est un élément nécessaire du splendide, et le sentiment artiste est non seulement servi, mais complété par l’organe scientifique ; le rêve doit calculer. L’art, qui est le conquérant,