Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/535

Cette page a été validée par deux contributeurs.
  Contre-coup. 527

Arrivé à la chambre de Fantine, Javert tourna la clef, poussa la porte avec une douceur de garde-malade ou de mouchard, et entra.

À proprement parler, il n’entra pas. Il se tint debout dans la porte entre-bâillée, le chapeau sur la tête, la main gauche dans sa redingote fermée jusqu’au menton. Dans le pli du coude on pouvait voir le pommeau de plomb de son énorme canne, laquelle disparaissait derrière lui.

Il resta ainsi près d’une minute sans qu’on s’aperçût de sa présence. Tout à coup Fantine leva les yeux, le vit, et fit retourner M. Madeleine.

À l’instant où le regard de Madeleine rencontra le regard de Javert, Javert, sans bouger, sans remuer, sans approcher, devint épouvantable. Aucun sentiment humain ne réussit à être effroyable comme la joie.

Ce fut le visage d’un démon qui vient de retrouver son damné.

La certitude de tenir enfin Jean Valjean fît apparaître sur sa physionomie tout ce qu’il avait dans l’âme. Le fond remué monta à la surface. L’humiliation d’avoir un peu perdu la piste et de s’être mépris quelques minutes sur ce Champmathieu, s’effaçait sous l’orgueil d’avoir si bien deviné d’abord et d’avoir eu si longtemps un instinct juste. Le contentement de Javert éclata dans son attitude souveraine. La difformité du triomphe s’épanouit sur ce front étroit. Ce fut tout le déploiement d’horreur que peut donner une figure satisfaite.

Javert en ce moment était au ciel. Sans qu’il s’en rendît nettement compte, mais pourtant avec une intuition confuse