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494 Les Misérables. ― Fantine.  

— J’ai à dire ça. Que j’ai été charron à Paris, même que c’était chez monsieur Baloup. C’est un état dur. Dans la chose de charron, on travaille toujours en plein air, dans des cours, sous des hangars chez les bons maîtres, jamais dans des ateliers fermés, parce qu’il faut des espaces, voyez-vous. L’hiver, on a si froid qu’on se bat les bras pour se réchauffer ; mais les maîtres ne veulent pas, ils disent que cela perd du temps. Manier du fer quand il y a de la glace entre les pavés, c’est rude. Ça vous use vite un homme. On est vieux tout jeune dans cet état-là. À quarante ans, un homme est fini. Moi, j’en avais cinquante-trois, j’avais bien du mal. Et puis c’est si méchant les ouvriers ! Quand un bonhomme n’est plus jeune, on vous l’appelle pour tout vieux serin, vieille bête ! Je ne gagnais plus que trente sous par jour, on me payait le moins cher qu’on pouvait, les maîtres profitaient de mon âge. Avec ça, j’avais ma fille qui était blanchisseuse à la rivière. Elle gagnait un peu de son côté. À nous deux, cela allait. Elle avait de la peine aussi. Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver ; il y a des personnes qui n’ont pas beaucoup de linge et qui attendent après ; si on ne lavait pas, on perdrait des pratiques. Les planches sont mal jointes et il vous tombe des gouttes d’eau partout. On a ses jupes toutes mouillées, dessus et dessous. Ça pénètre. Elle a aussi travaillé au lavoir des Enfants-Rouges, où l’eau arrive par des robinets. On n’est pas dans le baquet. On lave devant soi au robinet et on rince devant soi dans le bassin. Comme c’est fermé, on a moins froid au corps. Mais il y a