Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/445

Cette page a été validée par deux contributeurs.
  L’affaire Champmathieu. 437

« J’étais dans une campagne. Une grande campagne triste où il n’y avait pas d’herbe. Il ne me semblait pas qu’il fît jour, ni qu’il fît nuit.

« Je me promenais avec mon frère, le frère de mes années d’enfance, ce frère auquel je dois dire que je ne pense jamais et dont je ne me souviens presque plus.

« Nous causions, et nous rencontrions des passants. Nous parlions d’une voisine que nous avions eue autrefois, et qui, depuis qu’elle demeurait sur la rue, travaillait la fenêtre toujours ouverte. Tout en causant, nous avions froid à cause de cette fenêtre ouverte.

« Il n’y avait pas d’arbres dans la campagne.

« Nous vîmes un homme qui passa près de nous. C’était un homme tout nu, couleur de cendre, monté sur un cheval couleur de terre. L’homme n’avait pas de cheveux ; on voyait son crâne et des veines sur son crâne. Il tenait à la main une baguette qui était souple comme un sarment de vigne et lourde comme du fer. Ce cavalier passa et ne nous dit rien.

« Mon frère me dit : Prenons par le chemin creux.

« Il y avait un chemin creux où l’on ne voyait pas une broussaille ni un brin de mousse. Tout était couleur de terre, même le ciel. Au bout de quelques pas, on ne me répondit plus quand je parlais. Je m’aperçus que mon frère n’était plus avec moi.

« J’entrai dans un village que je vis. Je songeai que ce devait être là Romainville (pourquoi Romainville ?).[1]


  1. Cette parenthèse est de la main de Jean Valjean.