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414 Les Misérables. ― Fantine.  

n’entrât encore quelque chose. Il se barricadait contre le possible.

Un moment après il souffla sa lumière. Elle le gênait.

Il lui semblait qu’on pouvait le voir.

Qui, on ?

Hélas ! ce qu’il voulait mettre à la porte était entré ; ce qu’il voulait aveugler, le regardait. Sa conscience.

Sa conscience, c’est-à-dire Dieu.

Pourtant, dans le premier moment, il se fit illusion ; il eut un sentiment de sûreté et de solitude ; le verrou tiré, il se crut imprenable ; la chandelle éteinte, il se sentit invisible. Alors il prit possession de lui-même ; il posa ses coudes sur la table, appuya la tête sur sa main, et se mit à songer dans les ténèbres.

— Où en suis-je ? — Est-ce que je ne rêve pas ? — Que m’a-t-on dit ? — Est-il bien vrai que j’aie vu ce Javert et qu’il m’ait parlé ainsi ? — Que peut être ce Champmathieu ? — Il me ressemble donc ? — Est-ce possible ? — Quand je pense qu’hier j’étais si tranquille et si loin de me douter de rien ! — Qu’est-ce que je faisais donc hier à pareille heure ? — Qu’y a-t-il dans cet incident ? — Comment se dénouera-t-il ? — Que faire ?

Voilà dans quelle tourmente il était. Son cerveau avait perdu la force de retenir ses idées, elles passaient comme des ondes, et il prenait son front dans ses deux mains pour les arrêter.

De ce tumulte qui bouleversait sa volonté et sa raison, et dont il cherchait à tirer une évidence et une résolution, rien ne se dégageait que l’angoisse.