Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/369

Cette page a été validée par deux contributeurs.
361
LA DESCENTE.

Elle parlait ainsi, brisée en deux, secouée par les sanglots, aveuglée par les larmes, la gorge nue, se tordant les mains, toussant d’une voix sèche et courte, balbutiant tout doucement avec la voix de l’agonie. La grande douleur est un rayon divin et terrible qui transfigure les misérables. À ce moment-là, la Fantine était redevenue belle. À de certains instants, elle s’arrêtait et baisait tendrement le bas de la redingote du mouchard. Elle eût attendri un cœur de granit ; mais on n’attendrit pas un cœur de bois.

— Allons ! dit Javert, je t’ai écoutée. As-tu bien tout dit ? Marche à présent ! Tu as les six mois ; le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien.

À cette solennelle parole, le Père éternel en personne n’y pourrait plus rien, elle comprit que l’arrêt était prononcé. Elle s’affaissa sur elle-même en murmurant :

— Grâce !

Javert tourna le dos.

Les soldats la saisirent par le bras.

Depuis quelques minutes, un homme était entré sans qu’on eût pris garde à lui. Il avait refermé la porte, s’y était adossé, et avait entendu les prières désespérées de la Fantine.

Au moment où les soldats mirent la main sur la malheureuse, qui ne voulait pas se lever, il fit un pas, sortit de l’ombre, et dit :

— Un instant, s’il vous plaît !

Javert leva les yeux et reconnut M. Madeleine. Il ôta son chapeau, et saluant avec une sorte de gaucherie fâchée :

— Pardon, monsieur le maire…

Ce mot, monsieur le maire, fit sur Fantine un effet