Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/290

Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
Les Misérables. ― Fantine.

— Je les donnerai, dit la mère.

— Et quinze francs en dehors pour les premiers frais, ajouta la voix d’homme.

— Total cinquante-sept francs, dit madame Thénardier. Et à travers ces chiffres, elle chantonnait vaguement :

Il le faut, disait un guerrier.

— Je les donnerai, dit la mère, j’ai quatre-vingts francs. Il me restera de quoi aller au pays. En allant à pied. Je gagnerai de l’argent là-bas, et dès que j’en aurai un peu, je reviendrai chercher l’amour.

La voix d’homme reprit :

— La petite a un trousseau ?

— C’est mon mari, dit la Thénardier.

— Sans doute elle a un trousseau, le pauvre trésor. J’ai bien vu que c’était votre mari. Et un beau trousseau encore ! un trousseau insensé. Tout par douzaines ; et des robes de soie comme une dame. Il est là dans mon sac de nuit.

— Il faudra le donner, repartit la voix d’homme.

— Je crois bien que je le donnerai ! dit la mère. Ce serait cela qui serait drôle si je laissais ma fille toute nue !

La face du maître apparut.

— C’est bon, dit-il.

Le marché fut conclu. La mère passa la nuit à l’auberge, donna son argent et laissa son enfant, renoua son sac de nuit dégonflé du trousseau et léger désormais, et partit le lendemain matin, comptant revenir bientôt. On arrange tranquillement ces départs-là, mais ce sont des désespoirs.