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Les Misérables. — Fantine.

vers la pièce d’argent, la saisit, et, se redressant, se mit à regarder au loin dans la plaine, jetant à la fois ses yeux vers tous les points de l’horizon, debout et frissonnant comme une bête fauve effarée qui cherche un asile.

Il ne vit rien. La nuit tombait, la plaine était froide et vague, de grandes brumes violettes montaient dans la clarté crépusculaire.

Il dit : Ah ! et se mit à marcher rapidement dans une certaine direction, du côté où l’enfant avait disparu. Après une trentaine de pas, il s’arrêta, regarda, et ne vit rien.

Alors il cria de toute sa force : Petit-Gervais ! Petit-Gervais !

Il se tut, et attendit.

Rien ne répondit.

La campagne était déserte et morne. Il était environné de l’étendue. Il n’y avait rien autour de lui qu’une sorte de vie lugubre. Des arbrisseaux secouaient leurs petits bras maigres avec une furie incroyable. On eût dit qu’ils menaçaient et poursuivaient quelqu’un.

Il recommença à marcher, puis se mit à courir, et de temps en temps il s’arrêtait, et criait dans cette solitude, avec une voix qui était ce qu’on pouvait entendre de plus formidable et de plus désolé : Petit-Gervais ! Petit-Gervais !

Certes, si l’enfant l’eût entendu, il eût eu peur et se fût bien gardé de se montrer. Mais l’enfant était sans doute déjà bien loin.

Il rencontra un prêtre qui était à cheval. Il alla à lui et lui dit :

— Monsieur le curé, avez-vous vu passer un enfant ?