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Les Misérables. — Fantine.

qui lui parut maçonnée en mottes de gazon. Il franchit résolument une barrière de bois et se trouva dans le jardin. Il s’approcha de la hutte ; elle avait pour porte une étroite ouverture très basse et elle ressemblait à ces constructions que les cantonniers bâtissent au bord des routes. Il pensa sans doute que c’était en effet le logis d’un cantonnier ; il souffrait du froid et de la faim ; il s’était résigné à la faim, mais c’était du moins là un abri contre le froid. Ces sortes de logis ne sont habituellement pas occupés la nuit. Il se coucha à plat ventre et se glissa dans la hutte. Il y faisait chaud, et il y trouva un assez bon lit de paille. Il resta un moment étendu sur ce lit, sans pouvoir faire un mouvement tant il était fatigué. Puis, comme son sac sur son dos le gênait et que c’était d’ailleurs un oreiller tout trouvé, il se mit à déboucler une des courroies. En ce moment, un grondement farouche se fit entendre. Il leva les yeux. La tête d’un dogue énorme se dessinait dans l’ombre à l’ouverture de la hutte.

C’était la niche d’un chien.

Il était lui-même vigoureux et redoutable ; il s’arma de son bâton, il se fit de son sac un bouclier, et sortit de la niche comme il put, non sans élargir les déchirures de ses haillons.

Il sortit également du jardin, mais à reculons, obligé, pour tenir le dogue en respect, d’avoir recours à cette manœuvre du bâton que les maîtres en ce genre d’escrime appellent la rose couverte.

Quand il eut, non sans peine, repassé la barrière et qu’il se retrouva dans la rue, seul, sans gîte, sans toit, sans abri,