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La Chute.

— Il ne m’a pas reçu non plus.

Le visage du paysan prit une expression de défiance, il regarda le nouveau venu de la tête aux pieds, et tout à coup il s’écria avec une sorte de frémissement :

— Est-ce que vous seriez l’homme ?

Il jeta un nouveau coup d’œil sur l’étranger, fit trois pas en arrière, posa la lampe sur la table et décrocha son fusil du mur.

Cependant aux paroles du paysan : Est-ce que vous seriez l’homme ? … la femme s’était levée, avait pris ses deux enfants dans ses bras, et s’était réfugiée précipitamment derrière son mari, regardant l’étranger avec épouvante, la gorge nue, les yeux effarés, en murmurant tout bas : Tso-maraude.[1]

Tout cela se fit en moins de temps qu’il ne faut pour se le figurer. Après avoir examiné quelques instants l’homme comme on examine une vipère, le maître du logis revint à la porte et dit :

— Va-t’en.

— Par grâce, reprit l’homme, un verre d’eau.

— Un coup de fusil ! dit le paysan.

Puis il referma la porte violemment, et l’homme l’entendit tirer deux gros verrous. Un moment après, la fenêtre se ferma au volet, et un bruit de barre de fer qu’on posait parvint au dehors.

La nuit continuait de tomber. Le vent froid des Alpes soufflait. À la lueur du jour expirant, l’étranger aperçut dans un des jardins qui bordent la rue une sorte de hutte


  1. Patois des Alpes françaises. Chat de maraude.