Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
Les Misérables. — Fantine.

L’homme se dirigea vers cette auberge, qui était la meilleure du pays. Il entra dans la cuisine, laquelle s’ouvrait de plain-pied sur la rue. Tous les fourneaux étaient allumés ; un grand feu flambait gaîment dans la cheminée. L’hôte, qui était en même temps le chef, allait de l’âtre aux casseroles, fort occupé et surveillant un excellent dîner destiné à des rouliers qu’on entendait rire et parler à grand bruit dans une salle voisine. Quiconque a voyagé sait que personne ne fait meilleure chère que les rouliers. Une marmotte grasse, flanquée de perdrix blanches et de coqs de bruyère, tournait sur une longue broche devant le feu ; sur les fourneaux cuisaient deux grosses carpes du lac de Lauzet et une truite du lac d’Alloz.

L’hôte, entendant la porte s’ouvrir et entrer un nouveau venu, dit sans lever les yeux de ses fourneaux :

— Que veut monsieur ?

— Manger et coucher, dit l’homme.

— Rien de plus facile, reprit l’hôte. En ce moment il tourna la tête, embrassa d’un coup d’œil tout l’ensemble du voyageur, et ajouta : En payant.

L’homme tira une grosse bourse de cuir de la poche de sa blouse et répondit :

— J’ai de l’argent.

— En ce cas on est à vous, dit l’hôte.

L’homme remit sa bourse en poche, se déchargea de son sac, le posa à terre près de la porte, garda son bâton à la main, et alla s’asseoir sur une escabelle basse près du feu. Digne est dans la montagne. Les soirées d’octobre y sont froides.