Page:Hugo - Les Misérables Tome I (1890).djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
Un Juste.

soir, quand les deux femmes s’étaient retirées, une heure ou deux dans son jardin avant de s’endormir. Il semblait que ce fût une sorte de rite pour lui de se préparer au sommeil par la méditation en présence des grands spectacles du ciel nocturne. Quelquefois, à une heure même assez avancée de la nuit, si les deux vieilles filles ne dormaient pas, elles l’entendaient marcher lentement dans les allées. Il était là seul avec lui-même, recueilli, paisible, adorant, comparant la sérénité de son cœur à la sérénité de l’éther, ému dans les ténèbres par les splendeurs visibles des constellations et les splendeurs invisibles de Dieu, ouvrant son âme aux pensées qui tombent de l’Inconnu. Dans ces moments-là, offrant son cœur à l’heure où les fleurs nocturnes offrent leur parfum, allumé comme une lampe au centre de la nuit étoilée, se répandant en extase au milieu du rayonnement universel de la création, il n’eût pu peut-être dire lui-même ce qui se passait dans son esprit ; il sentait quelque chose s’envoler hors de lui et quelque chose descendre en lui. Mystérieux échanges des gouffres de l’âme avec les gouffres de l’univers !

Il songeait à la grandeur et à la présence de Dieu ; à l’éternité future, étrange mystère ; à l’éternité passée, mystère plus étrange encore ; à tous les infinis qui s’enfonçaient sous ses yeux dans tous les sens ; et, sans chercher à comprendre l’incompréhensible, il le regardait. Il n’étudiait pas Dieu ; il s’en éblouissait. Il considérait ces magnifiques rencontres des atomes qui donnent des aspects à la matière, révèlent les forces en les constatant, créent les individualités dans l’unité, les proportions dans l’étendue, l’innombrable dans l’infini,