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distribuant la vie autour d’elle. Le bruit de l’arrosoir sur les feuilles remplissait l’âme du père Mabeuf de ravissement. Il lui semblait maintenant que le rhododendron était heureux.

Le premier seau vidé, la fille en tira un second, puis un troisième. Elle arrosa tout le jardin.

À la voir marcher ainsi dans les allées où sa silhouette apparaissait toute noire, agitant sur ses grands bras anguleux son fichu tout déchiqueté, elle avait je ne sais quoi d’une chauve-souris.

Quand elle eut fini, le père Mabeuf s’approcha les larmes aux yeux, et lui posa la main sur le front.

— Dieu vous bénira, dit-il, vous êtes un ange puisque vous avez soin des fleurs.

— Non, répondit-elle, je suis le diable, mais ça m’est égal.

Le vieillard s’écria, sans attendre et sans entendre sa réponse :

— Quel dommage que je sois si malheureux et si pauvre, et que je ne puisse rien faire pour vous !

— Vous pouvez quelque chose, dit-elle.

— Quoi ?

— Me dire où demeure M. Marius.

Le vieillard ne comprit point.

— Quel monsieur Marius ?

Il leva son regard vitreux et parut chercher quelque chose d’évanoui.

— Un jeune homme qui venait ici dans les temps.

Cependant M. Mabeuf avait fouillé dans sa mémoire.