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le-Prince, de prendre la rue de Vaugirard, de dépasser les Carmes, de tourner rue d’Assas, d’arriver rue du Cherche-Midi, de laisser derrière moi le Conseil de guerre, d’arpenter la rue des Vieilles-Tuileries, d’enjamber le boulevard, de suivre la chaussée du Maine, de franchir la barrière, et d’entrer chez Richefeu. Je suis capable de cela. Mes souliers en sont capables.

— Connais-tu un peu ces camarades-là de chez Richefeu ?

— Pas beaucoup. Nous nous tutoyons seulement.

— Qu’est-ce que tu leur diras ?

— Je leur parlerai de Robespierre, pardi. De Danton. Des principes.

— Toi !

— Moi. Mais on ne me rend pas justice. Quand je m’y mets, je suis terrible. J’ai lu Prud’homme, je connais le Contrat social, je sais par cœur ma constitution de l’an Deux. « La liberté du citoyen finit où la liberté d’un autre citoyen commence. » Est-ce que tu me prends pour une brute ? J’ai un vieil assignat dans mon tiroir. Les droits de l’Homme, la souveraineté du peuple, sapristi ! Je suis même un peu hébertiste. Je puis rabâcher, pendant six heures d’horloge, montre en main, des choses superbes.

— Sois sérieux, dit Enjolras.

— Je suis farouche, répondit Grantaire.

Enjolras pensa quelques secondes, et fit le geste d’un homme qui prend son parti.

— Grantaire, dit-il gravement, je consens à t’essayer. Tu iras barrière du Maine.

Grantaire logeait dans un garni tout voisin du café