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LA RUE DE L’HOMME-ARMÉ.

Au cri du sergent, les hommes du poste étaient sortis pêle-mêle ; le coup de fusil détermina une décharge générale au hasard, après laquelle on rechargea les armes et l’on recommença.

Cette mousquetade à colin-maillard dura un bon quart d’heure, et tua quelques carreaux de vitre.

Cependant Gavroche, qui avait éperdument rebroussé chemin, s’arrêtait à cinq ou six rues de là, et s’asseyait haletant sur la borne qui fait le coin des Enfants-Rouges.

Il prêtait l’oreille.

Après avoir soufflé quelques instants, il se tourna du côté où la fusillade faisait rage, éleva sa main gauche à la hauteur de son nez, et la lança trois fois en avant en se frappant de la main droite le derrière de la tête ; geste souverain dans lequel la gaminerie parisienne a condensé l’ironie française, et qui est évidemment efficace, puisqu’il a déjà duré un demi-siècle.

Cette gaîté fut troublée par une réflexion amère.

— Oui, dit-il, je pouffe, je me tords, j’abonde en joie, mais je perds ma route, il va falloir faire un détour. Pourvu que j’arrive à temps à la barricade !

Là-dessus, il reprit sa course.

Et tout en courant :

— Ah çà, où en étais-je donc ? dit-il.

Il se remit à chanter sa chanson en s’enfonçant rapidement dans les rues, et ceci décrut dans les ténèbres :


Mais il reste encor des bastilles,
Et je vais mettre le holà
Dans l’ordre public que voilà.