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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

— Où vas-tu, voyou ? cria le sergent.

— Citoyen, dit Gavroche, je ne vous ai pas encore appelé bourgeois. Pourquoi m’insultez-vous ?

— Où vas-tu, drôle ?

— Monsieur, reprit Gavroche, vous étiez peut-être hier un homme d’esprit, mais vous avez été destitué ce matin.

— Je te demande où tu vas, gredin ?

Gavroche répondit :

— Vous parlez gentiment. Vrai, on ne vous donnerait pas votre âge. Vous devriez vendre tous vos cheveux cent francs la pièce. Cela vous ferait cinq cents francs.

— Où vas-tu ? où vas-tu ? où vas-tu, bandit ?

Gavroche repartit :

— Voilà de vilains mots. La première fois qu’on vous donnera à téter, il faudra qu’on vous essuie mieux la bouche.

Le sergent croisa la bayonnette.

— Me diras-tu où tu vas, à la fin, misérable ?

— Mon général, dit Gavroche, je vas chercher le médecin pour mon épouse qui est en couches.

— Aux armes ! cria le sergent.

Se sauver par ce qui vous a perdu, c’est là le chef-d’œuvre des hommes forts ; Gavroche mesura d’un coup d’œil toute la situation. C’était la charrette qui l’avait compromis, c’était à la charrette de le protéger.

Au moment où le sergent allait fondre sur Gavroche, la charrette, devenue projectile et lancée à tour de bras, roulait sur lui avec furie, et le sergent, atteint en plein ventre, tombait à la renverse dans le ruisseau pendant que son fusil partait en l’air.